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Lettre de Vauban à Louvois

Monseigneur,

… Il y a quelques queues d’ouvrages des années dernières qui ne sont point finies et qui ne finiront point si les entrepreneurs en sont crus, et tout cela, Monseigneur, par la confusion que causent les fréquents rabais qui se font dans vos ouvrages, car il est certain que toutes ces ruptures de marchés, manquements de paroles et renouvellements d’adjudications, ne servent qu’à vous attirer tous les misérables qui ne savent où donner de la tête, les fripons et les ignorants, pour entrepreneurs, et à faire fuir ceux qui ont de quoi et qui sont capables de conduire une entreprise. Je dis de plus qu’elles retardent et renchérissent considérablement les ouvrages, qui n’en sont que plus mauvais, car ces rabais et bons marchés tant recherchés sont imaginaires, d’autant qu’il est d’un entrepreneur qui perd comme un homme qui se noie, qui se prend à tout ce qui peut, or, se prendre à tout ce qu’on peut en matière d’entrepreneur, est ne pas payer les marchands chez qui il prend les matériaux, mal payer les ouvriers qu’il emploie, friponner ceux qu’il peut, n’avoir que les plus mauvais parce qu’ils se donnent à meilleur marché que les autres, n’employer que les plus méchants matériaux qu’il peut, tirer toujours le cul en arrière sur tout ce à quoi il est obligé, tromper sur les façons, chicaner sur toutes choses et toujours crier miséricorde contre celui-ci ou celui-là, notamment contre tous ceux qui le veulent obliger à faire son devoir.

Donnez le prix des ouvrages et ne plaignez pas un honnête salaire à un entrepreneur qui s’acquittera de son devoir, ce sera toujours le meilleur marché que vous puissiez trouver… Soyez fidèle dans l’exécution de votre part comme vous prétendez que l’entrepreneur le soit dans la sienne. Mais surtout n’acceptez point d‘entrepreneur qui ne soit solvable et intelligent, c’est l’unique moyen d’être bien servi. En user autrement, vous ne verrez jamais la fin des ouvrages qui vous coûteront le tiers ou le quart plus qu’ils ne vaudront, vous donneront mille chagrins à vous et à ceux qui s’en mêleront, et vous et eux, n’en serez pas moins la dupe.

Belle-Isle, le 17 juillet 1685

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